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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 43 1

nous individualise c'est notre passé, c'est notre ensemble de mémoire et d'habitude. Ce qui nous soustrait plus ou moins à ce passé appauvrit plus ou moins notre indivi- dualité, quitte à devenir plus tard, incorporé à notre mémoire, un élément qui l'enrichit. Et c'est pourquoi, pour avoir l'imaoe vivante et orig-inale des fortes destinées indivi- duellcs qu'a fait naître notre guerre, il faut attendre le temps de la mémoire, le temps des mémoires, celui des Coignet et des Marbot, des Ségur et des Chateaubriand. Ce passé, que nous voulons sentir incorporé à des mémoires et que les livres de guerre ne purent comporter jusqu'ici que fort peu, il est au contraire l'élément d'où émergent naturellement les souvenirs d'une vie littéraire. Ceux-ci ont pour atmosphère les années de la vieillesse ou de la maturité descendante. Ils sont écrits par quelqu'un qui a un passé, et, surtout, à la différence des souvenirs que nous donneront les Marbot ou les Ségur de demain, ils sont écrits par des gens dont nous connais- sons le passé : leur passé d'auteur se double de notre passé de lecteur, du passé que nous leur apportons comme lec- teurs de leurs œuvres et qui, nous mettant de plain-pied avec eux, nous fait aborder les souvenirs de leur vie littéraire en portant, derrière nous, cette même vie littéraire dans nos souvenirs. Ils partagent ce privilège avec les hommes poli- tiques, qui ont vécu comme eux en public, et dont la vie est incorporée à celle du public, de sorte que (par une illu- sion à laquelle je viendrai tout à l'heure) nous attendons les mémoires d'un Talleyrand ou d'un Clemenceau avec la même impatience et les mêmes espoirs que ceux d'un Sainte-Beuve ou d'un Renan.

Et puis, pourquoi les traits communs que nous trouvons nécessairement entre les divers mémoires de la \ie littéraire tout aussi bien qu'entre les abondants mémoires d« la vie militaire nous seraient-ils une raison de lassitude plutôt qu'une source d'intérêt? Ces traits communs nous con-

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