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shakespeare : antoine et cléopatre
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Tu m'apportes donc ce gentil vermisseau du Nil qui tue sans faire souffrir ?

Paysan. — Je l'ai, pour sûr. Mais je ne vous engagerai pas d'y toucher, car sa piqûre est immortelle. Ceux qui en meurent n'en relèvent pas souvent.

Cléopatre. — Tu connais des personnes qui en sont mortes ?

Paysan. — Oh ! des masses : hommes et femmes. Pas plus tard qu'hier encore on parlait d'une. Une brave honnête femme ; un peu portée sur le mensonge, ce qui n'est jamais agréable chez une femme, quand ça ne sert à rien. Comment elle est morte, ce qu'elle a souffert, tout ça, c'est elle-même qui le raconte et que le ver a joliment travaillé.

Cléopatre. — C'est bien, tu peux partir.

Paysan. — Je vous souhaite bien du plaisir avec le ver.

Cléopatre. — Adieu !

Paysan. — Faites attention que le ver ne se laisse pas mener.

Cléopatre. — C'est bien ; c'est bien. Adieu !

Paysan. — Méfiez-vous du ver, croyez-m'en. Ne le confiez qu'à des gens adroits ; car, voyez-vous, il n'y a rien de bon à en tirer.

Cléopatre. — Ne t'inquiète pas. On y veille.

Paysan. — Il ne faut rien lui donner à manger. Il n'en vaut pas la peine.

Cléopatre. — Tu crois qu'il me mangerait ?

Paysan. — Je ne suis pas si bête de croire que le diable lui-même oserait manger une femme. Je sais que la femme est le régal des dieux quand ce n'est pas un