Page:NRF 15.djvu/424

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
418
la nouvelle revue française


Dolabella. — Très noble Reine, vous avez sans doute entendu parler de moi.

Cléopatre. — Je ne peux pas dire.

Dolabella. — Assurément je suis connu de vous.

Cléopatre. — Ah ! Qu'importe, Monsieur, que je vous connaisse ou non. Dites-moi, vous riez au récit des songes ? Vous avez cette manie, n'est-ce pas ?

Dolabella. — Je ne vous suis pas...

Cléopatre. — J'ai rêvé d'un empereur qui s'appelait Antoine. Oh ! que je puisse dormir encore, pour revoir encore son pareil.

Dolabella. — Permettez-moi, Madame...

Cléopatre. — Son visage était semblable aux cieux, le soleil y brillait et la lune illuminait ce petit rond, la terre.

Dolabella. — Très souveraine reine, si je...

Cléopatre. — Son pas enjambait l'océan ; son bras étendu faisait ombre sur le monde ; sa voix, quand il parlait à un ami, rappelait la musique des sphères ; mais menaçante, ébranlait l'air comme un tonnerre. Sa bonté n'avait pas d'hiver ; son automne apportait un foisonnement de moissons. Ses jeux délicieux semblaient ceux du dauphin qu'on voit parmi les ondes apparaître ; sous sa livrée s'agitaient tortils et couronnes ; il secouait sa robe et les royaumes, comme des aumônes, pleuvaient.

Dolabella. — Cléopâtre !

Cléopatre. — Un homme, existe-t-il, pouvait-il exister peut-être, dites, pareil à celui-là que je rêvais ?

Dolabella. — Chère Madame, je ne crois pas.

Cléopatre. — Tu mens, j'en atteste les dieux. Mais