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la nouvelle revue française


Eros. — Que les dieux m'en préservent : quand les flèches ennemies même se détournaient de toi, j'oserais...

Antoine. — Eros, tu préfères du haut des balcons de Rome contempler ton maître déchu, les bras liés, la nuque asservie, le front incliné sous la honte, traîné derrière le trône ambulant de César, pour rehausser l'éclat de son triomphe.

Eros. — Jamais je ne verrai cela.

Antoine. — Viens donc. Il faut qu'une blessure me guérisse. Sors cette honnête épée qui rendit au pays tant de services.

Eros. — O maître, excusez-moi...

Antoine. — Lorsque je t'affranchis, ne m'as-tu pas juré d'obtempérer à cette requête ? Fais-le donc ; ou je tiens pour néant tous tes services passés. Qu'attends-tu ? Frappe.

Eros. — Détourne alors de moi ce visage où respire toute la majesté de l'univers.

Antoine (se détournant). — Va.

Eros. — Mon épée est tirée.

Antoine. — Qu'elle accomplisse en hâte sa besogne.

Eros. — Mon maître bien-aimé, mon roi, mon capitaine, avant le coup fatal, ah ! laissez-moi vous dire : adieu.

Antoine. — Bien dit, mon compagnon, adieu !

Eros. — Dois-je frapper ?

Antoine. — Frappe.

Eros. — C'est fait. Ainsi je n'aurai pas à te pleurer.

(Il se tue.)

Antoine. — Ami trois fois plus noble que moi-