320 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
meublé, où certain Aiste de décor est nécessaire, le temps que prend le moindre changement de tableau réclame une conduite dift'érente. Il faudra à tout prix, réduire le nombre des scènes, éviter de passer trop fréquemment d'un lieu à l'autre, sous peine de rompre sans cesse la ligne continue ■de l'action. Que faire donc? Toucher au texte de Shakes- peare ? Nécessairement. André Gide n'hésita pas et quant à moi, je n'y vois pas de sacrilège.
Entendons-nous sur le respect dû aux chefs-d'œuvre. S'il en est d'intangibles (et ce ne sont pas toujours les plus grands, mais seulement les plus parfaits, les plus mesurés, les plus condensés, comme ceux du théâtre français clas- sique) il en est qui se prêtent à l'adaptation, à la remise en forme, à la retouche (ce ne sont pas les plus petits) et où, plus accusé que le talent, le génie a laissé du jeu, du flotte- ment, de l'air entre les diverses parties ; où le caprice, disons plutôt : la fontaisie a eu le pas sur la raison dans le travail de composition. Tel est le cas des drames « éliza- bethains », de ceux de Shakespeare, d'Antoine et Clèopâtre qui compte parmi les meilleurs. Ces ouvrages sont presque tous, à un certain point de vue, révisibles ; non pas par le premier scribaillon venu, mais par un homme de talent, à proportion même du respect et de l'amour qu'il a pour eux. Quand Gide modifie Antoine et Clèopâtre il cherche à le mieux faire entendre, à en tirer au jour l'essentiel. De là telle crase hardie qui fond plusieurs morceaux en un et par exemple nous montre Clèopâtre déplorant le départ d'Antoine et aussitôt apprenait son remariage, quoique les deux scènes soient fort distantes l'une de l'autre dans le texte anglais. De même aussi pour nombre de scènes romaines qui, semble-t-il, n'y perdent pas. Quand on est côté Rome, avec les triumvirs, le traducteur tâche d'y demeurer : et réciproquement côté Alexandrie avec la reine Clèopâtre ; il lutte tant qu'il peut contre la dispersion.
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