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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 3O9

néanmoins y gardent leur physionomie natale, y sont appré- ciés pour des qualités suisses, ou plus strictementgénevoises et calvinistes, une préoccupation des choses morales, un sérieux un peu lourd pour lequel il y a toujours une place (en même temps qu'un grain d'ironie) dans la riche com- plexité de la culture française. Par un certain côté les grands Suisses européens, qui ne sont européens que parce qu'ils sont d'abord de grands écrivains français, appartiennent à cette littérature de liaison et ne sont pas acceptés en France sans quelques brimades : évidemment la Suisse et la répu- blique de Genève partagent la responsabilité du calvaire de Rousseau après V Emile et du : Au loup ! qui s'abattit sur ce malheureux. Mais les persécutions subies par Madame de Staël, aux prises non seulement avec la force, mais avec cer- taines exigences nationales françaises, nous révèle en clair entre les deux frontières l'existence d'un plan de friction et d'hostilité : Alfred de Musset appelle la baronne un Blùcher littéraire, et l'on sait avec quelle ardeur M. Maurras s'est appliqué à dénoncer et à obturer « l'échancrure de Genève et de Coppet ». Et si grand qu'ait été en France le succès d'Amiel, l'article que Brunetière lui consacra dans un de ses grands jours de hargne peut être considéré comme une réac- tion et une défense du traditionalisme français. Ainsi les grands Suisses européens sont à la fois entre la France et le Léman agents de liaison et agents de discorde. Les vrais agents de liaison, la vraie littérature de liaison sont repré- sentés par ces Genevois devenus Parisiens, voire académi- ciens, cette monnaie d'un Necker littéraire que sont les Schérer, les Cherbuliez, les Rod ; le sérieux un peu gris qu' ont maintenu Schérer et Rod l'un sur la critique, l'autre sur le roman, la fantaisie érudite, un peu laborieuse de Cher- buliez, assez injustement tombé après sa mort dans une obscurité cpmplète, ont au contraire exactement des Rous- seau et des Staël, des Constant et des Amiel, été accueillis

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