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chez Verlaine, chez Mallarmé que j’ai trouvé mes premières véritables émotions littéraires. Il ne peut donc être question, en ce qui me concerne, d’une méconnaissance de la littérature que je viens d’analyser, ni d’une insensibilité à ses charmes.

Mais tout en l’admirant profondément, j’avais conçu, depuis assez longtemps déjà, des inquiétudes sur ses possibilités : un gouffre me semblait peu à peu se creuser dessous elle ; ou plutôt j’avais l’impression qu’elle allait vers une impasse. Le grand mérite à mes yeux de Dada, le service immense qu’il me rend et ce qui lui vaut ma reconnaissance, c'est qu’il me découvre d’un seul coup cette impasse, c’est qu’il atteint dans un sursaut de logique au point de paralysie complète et d’auto-anéantissement d’un art dont je soupçonnais déjà fragiles les chances de vie.

Que démontrent en effet les Dadas si ce n’est qu’il est impossible en se réalisant de réaliser quelque chose et que la pure extériorisation de soi-même finit pour l’écrivain par équivaloir à une entière abdication ? Chercher le passage, l’issue, travailler à son propre avènement, c’est fatalement abandonner de plus en plus le souci de l’art, la volonté de fondation esthétique. Le mot de Max Jacob : « s’extérioriser par des moyens choisis », les Dadas nous font voir qu’il implique une contradiction formelle. Choisir ses moyens, ce n’est plus s’extérioriser qu’imparfaitement, c’est se déformer, c’est mentir à soi-même. L’œuvre d’art, ce « bijou » qu’évoque Jacob et à la concrétion duquel il prétend donner tous ses soins, est forcément restrictive de la personnalité. Pour qui donc prit une fois comme idéal sa propre parfaite expan-