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le fond à leur structure véritable. À aucun moment leur complexité intrinsèque ne l’attire ; il est étonnamment dépourvu du besoin de la débrouiller ; il n’y a point là pour lui de problème, ni de tentation ; la nature est pour lui aussi peu sirène, aussi peu Lorelei qu’on puisse le rêver. La soumission qu’il lui déclare ne s’accompagne en lui et n’est l’effet d’aucun véritable amour. L’observation ne lui sert nullement à l’explorer, à l’approfondir, à gagner ses régions intimes. Rien de moins entrant que son regard. Il ne voit rien et ne cherche à rien voir au delà de ce dont il a besoin. S’il se courbe sur la nature, poussif, geignard, obstiné comme un mineur sur la veine qu’il débite, c’est qu’il lui faut en extraire son bien, c’est qu’il veut lui arracher les matériaux nécessaires à son édifice. De la pierre, de la planche, de l’ardoise ou des tuiles : voilà tout ce que l’observation est chargée de lui obtenir, voilà la seule utilité qu’il lui connaisse.

Dans le fond il ne tient à rien qu'à trouver une matière pour une espèce d’image indéfinissable et précise, d’ordre dirait-on poétique, ou même plastique, que couve son cerveau. Albert Thibaudet a eu mille fois raison de le faire apparaître « comme le type le plus saisissant chez nous du romancier qui pense par thèmes[1] », — mille fois raison de souligner l’importance de sa fameuse boutade : « Dans Salammbô j’ai voulu donner l’impression de la couleur jaune. Dans Madame Bovary j’ai voulu faire quelque chose qui fût de la couleur de ces moisissures des coins où il y a des cloportes. Quant

  1. Voir la Nouvelle Revue Française du Ier octobre 1919, pp. 780-81.