Il faudra tâcher un jour de décrire en détail, et avec illustrations à l’appui, la lente modification qui s’est produite au cours du xixe siècle dans l’attitude mentale de l’écrivain. En gros, elle a consisté dans un progressif affaiblissement de l’instinct objectif, dans une foi de plus en plus grêle à l’importance des modèles extérieurs, dans un détachement croissant de la réalité, et, conjointement, dans une identification de plus en plus étroite du sujet avec lui-même, dans un effort de plus en plus profond de sa part pour recueillir à l’état pur sa propre efficace, pour épouser son propre jaillissement et pour faire de l’œuvre d’art la simple incarnation de ses velléités et de ses rêves.
On pourrait dire qu’à partir du Romantisme l’écrivain sent sa puissance prendre le pas sur sa perception ; elle est là qui le tracasse, qui le dérange, qui le talonne ; le plus urgent lui paraît être de la dépenser ; la création, et la création immédiate, continuelle et intégrale, devient pour lui le seul recours, le seul devoir. Il prend Dieu désormais directement pour modèle et s’applique à copier d’aussi près que possible son opération ; il recommence à tout coup la Genèse ; à tout coup il lui faut aboutir à quelque chose d’aussi premier qu’Adam et Ève.
Flaubert est bien curieux qui, tout en se donnant l’air de peindre et de reproduire trait pour trait la plus plate, la plus inerte, et donc la plus extérieure réalité, au fond ne fait que poursuivre au travers d’elle les fantômes informes qui ont pris possession de son imagination. Jamais on ne vit réaliste plus sceptique sur l’existence des choses qu’il s’applique à décrire, plus indifférent dans