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d’exister ensemble. C’est de celle-là seule qu’il importe de tenir compte. C’est celle-là seule qu’il importe, dans tous les cas, de retrouver, d’écouter, de traduire. Saisir l’être avant qu’il n’ait cédé à la compatibilité ; l’atteindre dans son incohérence, ou mieux dans sa cohérence primitive, avant que l’idée de contradiction ne soit apparue et ne l’ait forcé à se réduire, à se construire ; substituer à son unité logique, forcément acquise, son unité absurde, seule originelle : tel est le but que poursuivent tous les Dadas en écrivant, tel est le sens de toutes leurs élucubrations.

Qu’on ne les croie pas si sots que de ne pas comprendre à quoi par là ils se condamnent. Ils savent comme tout le monde qu’art est synonyme de moyen, et donc de truc, d’artifice, et donc encore de suppression, de combinaison, d’ajustement. Ils aperçoivent très bien qu’on ne peut donner naissance à une œuvre d’art qu’en s’utilisant et en se manœuvrant soi-même de façon méthodique et arbitraire. En choisissant comme première et préférable à tout leur propre intégrité, les Dadas renoncent, très consciemment, à faire des œuvres : « Il faudrait remplacer œuvre par expression, ou par quelque chose de ce genre, » me confiait l’un d’eux. Délibérément — c’est là leur véritable hardiesse, leur coup de génie — les Dadas sortent de l’art, débouchent dans une région indéfinissable, dont tout ce qu’on peut dire, c’est qu’y cesse la qualité esthétique. « Au-dessus des règlements du Beau et de son contrôle », s’est écrié Tzara dans une Proclamation sans prétention.

L’équivoque qui continue de régner sur l’entreprise des Dadas s’évanouirait en un moment si l’on voulait