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shakespeare : antoine et cléopatre
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Ménas. — Je le répète. Veux-tu régner sur le monde entier ?

Pompée. — Qu'entends-tu par là ?

Ménas. — Accepte seulement et, si pauvre chose que je sois, je me fais fort de te donner le monde.

Pompée. — Dis donc : combien de bouteilles as-tu bues ?

Ménas. — Non, Pompée. Je n'ai jamais été moins ivre. Tu peux devenir, si tu l'oses, un Jupiter humain : tout ce que baigne l'océan, tout ce que recouvre le ciel, si tu le veux, tout est à toi.

Pompée. — Le moyen ? Parle !

Ménas. — Les trois piliers du monde, les triumvirs, sont ici, dans ta galère, entre tes mains. Coupons les câbles. Sitôt en pleine mer, on fait leur affaire et tout est à toi.

Pompée. — Ah ! que ne l'as-tu donc fait, sans m'en parler. Oui, toi, tu pouvais le risquer ; moi, ce serait de la bassesse. Tu devrais savoir que mon profit n'a jamais pris le pas sur mon honneur. D'abord l'honneur. Fâcheux que ta langue ait trahi ton projet. Ce que, fait à mon insu, j'aurais pu approuver par la suite, à présent, je le dois condamner. N'y pense plus. Buvons.

Ménas. — A partir de quoi je renonce ô Pompée, à servir ta fortune défaillante. Celui qui convoite et qui fait des façons quand on lui offre ce qu'il convoite... tant pis pour lui.

Pompée. — A la santé de Lépide !

Antoine. — Portez-le à terre. Pompée, je te ferai raison à sa place.

Enobarbus. — Ménas ! à la tienne !