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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE II 5

près par rien à l'antiquité classique : il est autochtone comme l'architecture gothique, il est «roman ». Une histoire du roman doit tourner le dos à la chaîne classique, plonger d'abord en plein Moyen-Age. C'est ce qu'a fait M. Saints- bury, qui attribue comme M. Seillière une grande impor- tance au Lancclot et voit en Genièvre (peut-être à travers les héroïnes de Shakespeare) une des plus attachantes et cu- rieuses figures de tout le roman français.

M. Saintsbury insiste sur les mêmes courants généraux que M. Seillière, romanesques et féministes. Le roman fran- çais qui tient la plus grande place dans son premier volume (jusqu'à 1800) est le Grand Cyrus qu'il se glorifie d'avoir lu en entier et jusqu'au dernier de ses deux millions de mots. 11 lui consacre, si mes souvenirs sont exacts, une cinquan- taine de pages. Il a en revanche une demi-ligne sur les Liai- sons Dangereuses de Laclos, que sans doute il n'avait pas lues quand il écrivit son ouvrage. Un de ses amis s'étonna de la lacune. Il lut alors Laclos et bien entendu expliqua dans une note d'une seconde édition que son silence était juste, le livre ne valant rien du tout. Un Français ne partagera nul- lement l'avis de M. Saintsbury, et les Liaisons lui impor- teront infiniment plus que le Cyrus et le Lancelot. Cela nous montre à quel point il est difficile de trouver sur la série des romans français un point de vue juste, et quel départ soigneux s'impose entre leur importance sociale cl leur valeur litté- raire. L'histoire du roman jusqu'au xviip siècle, c'est l'his- toire d'un genre foisonnant, capital dans l'ordre historique, mais littérairement manqué. De sorte qu'un critique pren- drait, dans les premiers volumes d'une histoire du roman, des habitudes de classification et de jugement dangereuses. Et cette histoire qui nous paraissait naguère si facile nous présente maintenant une difficulté invraisemblable. Déci- dément Dieu fait bien ce qu'il fait : la^ place des glands (comme Manon) est sur les chênes, et par terre celle des

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