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•920 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pas moins une belle page dans la géographie du cœur. Mais Lautréamont n'échappe pas à la règle : le rire, « ce honteux dépouillement de la noblesse humaine », lui fait horreur. « Soyons sérieux », se répète-t-il. Il se prendrait sans cesse en défaut et en concevrait du dépit si son relati- visme ne lui venait en aide. C'est qu'en effet, selon lui, l'enthousiasme et le froid intérieur peuvent parfaitement .■s'allier et qu'il pousse assez loin le respect humain pour juger également sacrés l'oisiveté et le travail.

L'instant n'est pas venu d'étudier la portée morale de l'œuvre de Ducasse. Elle ne saurait se déduire que de la comparaison des Chants de Maldoror et des « Poésies » ; l'occasion me semblera mieux choisie d'en parler à propos ■de ces dernières. Je ne puis exiger que le passage d'un volume à l'autre ne passe pour une révolution dans le temps. J'espère seulement que le lecteur des Chants ne s'en tiendra pas à un pur baudelairisme de forme. Il s'en trouverait d'autant plus mal que le style de Lautréamont lui opposerait une dénégation frappante. « Si la mort arrête la maigreur fantastique des deux bras longs de mes épaules, ^employés à l'écrasement lugubre de mon gypse littéraire, je veux que le lecteur en deuil puisse se dire : « Il faut lui rendre cette justice. Il m'a beaucoup crétinisé. » Nul, au fond, n'observa plus de mesure que lui dans son langage. Lautréamont eut si nettement conscience de l'infidélité des moyens d'expression qu'il ne cessa de les traiter de haut : il ne leur passa rien et, chaque fois qu'il était nécessaire, leur fit honte. Il rendit ainsi, en quelque sorte, leur trahison impossible. Aussi, rien n'ayant chance de se dénouer jamais par l'artifice grammatical, devons-nous lui savoir plus de gré de suspendre, comme il le fait, la fin de sa phrase que de faire semblant de résoudre, de manière aussi élégante qu'on voudra, un problème qui restera éternelle- ment posé. ANDRÉ BRETON

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