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862 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

devant la prolixité wagnérienne » n'est pas dicté par ce fait que Wagner est Allemand.

Pourtant il a son parti pris, qu'il ne cherche pas à cacher. Son esthétique repose, au fond, sur une éthique. Sa conception de la vie tend à retrancher de l'art toutes voluptés où s'énerverait la vigueur d'une âme libre. Cette sévérité dédaigne les petits scrupules, et ne connaît point de sujets interdits. Elle ne se réclame pas d'un spiritualisme exsangue ; et l'on ne peut croire qu'elle déguise ce manque naturel de sensualité qui serait tout bonnement un motif de laisser l'étude du beau pour celle des mathématiques. Alain ne croit pas à une vie inté- rieure détachée des sens; d'autant plus importe-t-il, selon lui, que les sens soient bien contenus et réglés : « Dans tous les arts on remarque, dit-il, un intérêt qui serait presque animal, comme de voir une femme jeune et belle, mais qui doit être, avec d'autres, humanisé par une contemplation supérieure.... Tous les arts viseraient donc — mais non pas tous directement — à disposer le corps humain selon la sagesse, entendez selon la raison et la paix ». Cette conviction ne prend pas le ton d'un impératif. En se refusant à faire la bête, ou bien le fou, ou bien l'enfant, Alain sait que tout comme un autre il serait capable d'y trouver plaisir ; seulement, tenant des joies plus hautes, il ne veut pas les perdre ou les gâter. Ce n'est point consigne suivie à regret, encore moins pré- somption d'une santé infaillible ; mais préférence raison- née, et maintenue par libre décret. Tandis qu'un mora- lisme attriste, parce qu'il vise surtout autrui, cette volonté de sagesse personnelle a quelque chose de tonique et de réconfortant.

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