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SUR UN « SYSTÈME DES BEAUX-ARTS » 857

au lieu de leur faire dire justement ce que personne ne dit jamais. Ainsi la comédie moyenne nous réduit au maigre plaisir de rire des autres ; la marque de la grande comédie est que l'on n'y rit que de soi : chacun de nous est mis tout nu sur la scène, mais pour lui seul : car il n'y a que le ridicule intérieur des passions qui ressemble à ces terribles personnages. On rit de ce qu'on aurait pu être, de ce qu'on fut en pensée un petit moment. »

Tout art tire sa vraie puissance des moyens qui lui sont propres. C'est donc en Topposant à l'Eloquence aussi bien qu'à*>la Poésie qu'Alain va définir la Prose, dernier né des arts, fleur suprême de la culture, à qui va sa prédilection. Il veut la saisir en sa pureté, telle qu'il l'admire surtout chez Montaigne et chez Stendhal. Or, le propre de la prose est d'apparaître toute sur la feuille imprimée. Il n'est point de sa nature d'être lue tout haut ; la beauté n'y doit pas naître de la sonorité des mots. C'est pour l'imprimeur qu'il faut écrire — et réduire les mots au rôle d'éléments. La vraie puissance des mots résulte ici de leur place et de leur union avec d'autres. La prose^ considérée dans sa pureté, tend toujours à détourner l'attention des éléments et à la reporter sur l'ensemble. Les mots ordinaires, les cons- tructions communes sont la matière de cet art ; et c'est toujours en formant, par la succession des mots, ce que l'on appelle des pensées que l'artiste arrive à sa fin, même quand cette fin est d'émouvoir en évoquant de fortes images. Tandis que la poésie est soumise à la loi du Temps, une page imprimée s'offre toute au regard; la prose permet les arrêts, les retours, elle

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