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jours dans un système, aucune partie ne pouvant être bien connue avant que toutes aient été examinées… L'art de la prose est de suspendre le jugement du lecteur jusqu'à ce que toutes les parties soient en place et se soutiennent les unes les autres. » Ainsi, persuadé qu'on prouve tout ce qu'on veut, Alain, par respect du vrai, préfère cette méthode qui consiste « à expliquer, à exposer autant qu'on peut, sans rien prouver. » Il a tenté, de chaque art, une analyse séparée. Il s'est attaché à marquer les distinctions et les oppositions, en se réglant sur les œuvres mêmes « dont chacune s'affirme si bien et n'affirme qu'elle. » Mais il lui a paru qu'enfin la liaison aussi s'affirmait d'elle-même, plus serrée par les différences, ce que le mot Système exprime assez bien.

Là-dessus, nous n'avons pas à le croire sur parole. Dans un autre ouvrage, il nous dit fort bien : « Penser n'est pas croire ; penser, c'est plutôt inventer sans croire. » Il se représente le savant même, le physicien, souriant et jouant avec sa théorie, démontant et remontant ses idées comme des rouages, travaillant sans fièvre et recevant les objections en amies. Le style d'Alain, par sa concision seule, a parfois des allures d'assurance intrépide ; mais son esprit souple et jeune aime le doute, et veut que nous doutions. Aussi bien le Beau a, comme il dit encore, « ce privilège d'exister » . Romans, musiques, édifices, statues, dessins, des objets sont là, qui ne cèdent pas à tout caprice, et nous pressent de vérifier par nous-mêmes si les analyses sont justes et si la synthèse se tient.