Page:NRF 14.djvu/709

Cette page n’a pas encore été corrigée

LE NÈGRE LÉONARD ET MAITRE JEAN MULLIN 703

que leurs antipathies ne sont pas irraisonnées. Ma pre- mière pensée fut, qu'à l'exemple de quelques personnes de mon monde me rendant visite à la Croix-Cochard, la Flamande distribuait sournoisement des petits coups de pieds à mes bêtes. Je ne pus jamais la prendre sur le fait et je dus après quelques semaines d'espionnage adroit constater que les deux bassets détestaient la servante pour des raisons mystérieuses.

Elle-même se plaignait de l'hostilité des deux chiens, cela ne l'empêchait pas de chanter en nettoyant les cas- seroles. Et quand elle devenait pour moi une femme, cette fille merveilleuse s'animait avec originalité. Elle possédait une vie cérébrale intense et compliquée. Cette jolie fille des champs reconstituait par les seules res- sources de son imagination les ouvrages les plus célèbres et les plus clandestins de la littérature sotadique. Et comme Pascal à l'âge de douze ans imaginait le livre de géométrie d'Euclide par ses propres moyens, ma bate- lière inventait la Philosophie^ dans le boudoir, mais sans aucun profit pour l'humanité.

Katje, dans l'intimité, se montrait discrète et dé- concertante. Elle s'exprimait alors avec une grâce manié- rée sentant à la fois le latin du père Sinistrari d'Ameno et les fagots de Claude Le Petit. Cette fille jeune et saine avait un cerveau étrange, peuplé comme une vieille librairie dont les rayons eussent été garnis de livres inquiétants, sans titre et sans nom d'auteur.

Le jour venu, dès le chant du coq, Katje ne connais- sait plus rien. Sa chevelure rousse flambait dans le soleil. Elle ne savait plus que fourbir les cuivres et chanter des niaiseries sentimentales en flamand de Bruges.

�� �