Page:NRF 14.djvu/707

Cette page n’a pas encore été corrigée

LE NÈGRE LÉONARD ET MAITRE JEAN MULLIN 70I

langoureux, à la taille souple et au parler dur. Elle vint, munie d'un méchant bagage, une petite malle recou- verte de peau de bique. Sa chevelure cuivrée était une véritable richesse. Katje riait toujours, montrant ses dents saines. J'eus la conviction que ma demeure abri- terait une jolie fille et que tous les fournisseurs désor- mais deviendraient plus obséquieux, et l'obséquiosité est aux fournisseurs ce qu'un teint frais est à une fillette : une parure. L'apparition de la belle rousse dans mes trois pièces meublées de chêne luisant, s'harmonisa à merveille avec mes pots de cuivre, quelques gravures anciennes et des armes de chasse modernes.

Ma batelière travaillait avec passion. Courbée contre le sol en posture animale, la croupe tendue sous la mince étoffe de sa jupe un peu courte, la brosse à la main, elle faisait reluire les meubles dans leurs coins les plus secrets.

Un soir, elle devint ma maîtresse si j'ose dire : c'est-à- dire qu'elle consacra à mon service quelques heures de la nuit. Le matin suivant elle se leva de bonne heure et se mit au travail selon ses engagements. Or, Katje van Meulen était consciencieuse. Cette belle personne con- naissait la vie et ses plans superposés. Elle appartenait à un plan inférieur au mien. L'abandon de ses grâces les plus intimes lui valait, en devenant à peu près mon égale, de pénétrer dans un plan supérieur. Elle en était recon- naissante et confondait le palais du Louvre, mon fauteuil en cuir et mon amour, comme les mêmes représenta- tions d'un idéal qu'elle pouvait parfois toucher du doigt.

Quand, après la guerre, je rentrai dans ma petite pro- priété de la Croix-Cochard, à cent kilomètres de Paris,

�� �