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SUR L'INTRODUCTION A LA MÉTHODE DE LÉONARD DE VINCI
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veau la perle qui n’est pas sans prix[1], il arrive toujours un moment où ils n’ont plus d’autre ressource que de trancher le nœud gordien, mais l’opération pour eux ne se présente pas avec le caractère de simplicité idéale, d’aisance alerte et dégagée, dont s’accompagne le geste fabuleux d’Alexandre. Tout dépend ici, pour l’avenir, du choix du moment et des circonstances qui l’ont devancé. Combien ont procédé au coup d’état qui au lieu de se trouver sur le pavois ont été rouler dans la poussière ; combien aussi se sont imaginés sur le pavois et meurent sans avoir été détrompés ! Les plus heureux ceux-là, dira-t-on, en réalité, les plus lamentables, — moins tragiques pourtant que ceux qui savent à demi, et qui ignorent de même. Rares, sont ceux comme Manet qui disait à Mallarmé : « Chaque fois que je peins un tableau, je me jette à l’eau pour apprendre à nager », et chez qui pourtant le don était si fort, si prestigieux, qu’il exécutait le Fifre, ce chef-d’œuvre d’évidence et d’éclat. « Si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? » Transposez l’interrogation évangélique de l’ordre moral dans l’ordre intellectuel, — supposez-la adressée à des écrivains, à des artistes, et il me semble entendre M. Valéry murmurer à mi-voix : « avec l’esprit critique ». Car, s’il sait que pour les faibles l’autocritique reste le poison de choix, il sait aussi, et pour cause, que lorsqu’il

  1. « Je ne tirerai jamais rien de ce maudit cerveau où cependant, j’en suis bien sûr, loge quelque chose qui n’est pas sans prix. C’est la destinée de la perle dans l’huître au fond de l’Océan. Combien, et de la plus belle eau, qui ne seront jamais tirées à la lumière ! » (Lettre de Maurice de Guêrin à Barbey-d’Aurevilly : mardi soir, 23 mai 1838.)