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SI LE GRAIN NE MEURT 667

jetais calme, plutôt trop doux, et je détestais les pei- gnées, convaincu sans doute que j'y aurais toujours le dessous. Je gardais cuisant encore le souvenir d'une aventure, qu'il faut que je raconte ici : En rentrant de TEcole, l'an précédent,à travers leLuxembourg et passant, contrairement à mon habitude, par la grille en face du petit jardin, ce qui ne m'allongeait pas beaucoup, j'avais croisé un groupe d'élèves, de l'Ecole Communale sans doute, pour qui les élèves de l'Ecole Alsacienne repré- sentaient de haïssables aristos. Ils étaient à peu près de mon âge, mais sensiblements plus costauds. Je surpris au passage des ricanements, des regards narquois ou chargés de fiel et continuais ma route du plus digne que je pouvais ; mais voici que le plus gaillard se détache du groupe et vient à moi. Mon sang tombait dans mes talons. Il se met devant moi. Je balbutie :

— Qu'est-ce... qu'est-ce que vous voulez ?

Il ne répond rien, mais emboîte le pas à ma gauche.

Je gardais, tout en marchant, les yeux fichés en terre, mais sentais son regard qui me braquait; et, dans mon dos, je sentais le regard des autres. J'aurais voulu m'asseoir ! Tout à coup :

— Tiens ! Voilà ce que je veux ! dit-il en m'envoyant son poing dans l'œil.

J'eus un éblouissement et m'en allai dinguer au pied d'un marronnier, dans cet espace creux réservé pour l'arrosement des arbres, d'où je sortis plein de boue et piteux. L'œil poché me faisait très mal. Je ne savais pas encore à quel point l'œil est élastique et croyais qu'il était crevé. Comme les larmes en jaillissaient avec abondance : — « C'est cela, pensai-je : il se vide. » —

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