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SI LE GRAIN NE MEURT 665

ma barrette de calicot, j'avais l'air d'un mouchoir de poche. Je paraissais si triste que maman voulut bien me prêter une casserole de la cuisine, une vraie casserole de cuivre, et qu'elle glissa dans ma ceinture une cuillère à sauce, pensant relever un peu par ces attributs l'insipidité de mon travestissement prosaïque. Et, de plus, elle avait empli de croquignoles la poche de mon tablier, « pour que je puisse en offrir ».

Sitôt entré dans la salle de bal, je pus constater que les « petits pâtissiers » étaient au nombre d'une ving- taine ; on aurait dit un pensionnat. La casserole trop grande me gênait beaucoup ; j'en étais empêtré ; et pour achever ma confusion, voici que tout à coup, je tombai amoureux, oui, positivement amoureux d'un garçonnet un peu plus âgé que moi, qui devait me laisser un sou- venir ébloui de sa sveltesse, de sa grâce et de sa volubilité.

Il était costumé en diablotin ou en clown, c'est-à-dire qu'un maillot noir pailleté d'acier moulait exactement son corps gracile ; tandis qu'on se pressait pour le voir, lui sautait, cabriolait, faisait mille tours, comme ivre de succès et de joie ; il avait l'air d'un sylphe ; je ne pouvais déprendre de lui mes regards. J'eusse voulu attirer les siens, et tout à la fois je les craignais, à cause de mon accoutrement ridicule ; et je me sentais laid, misérable. Entre deux pirouettes il souffla, s'approcha d'une dame qui devait être sa mère, lui demanda un mouchoir et, pour s'éponger, car il était en nage, souleva le serre- tête noir qui fixait sur son front deux petites cornes de chevreau ; je m'approchai de lui et gauchement lui offris quelques-unes de ces croquignoles, dont ma mère

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