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b60 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

mieux voir; Dubled s'obstinait à ne distinguer que deux dents ; mais c'était un farceur. Le grand Wenz, les yeux fixés sur la bête, comptait sans arrêter, et ce n'est que lorsqu'il dépassait soixante que Monsieur Brunig l'arrê- tait avec ce bon rire spécial de celui qui sait se mettre à la portée des enfants et, citant La Fontaine :

— «Vous n'en approchez point. » Plus vous en trou- vez, plus vous êtes loin de compte. 11 vaut mieux que je vous arrête. Je vais beaucoup vous étonner. Ce que vous prenez pour des dents ne sont que des petites protubé- rances charnelles. La tortue n'a pas de dents du tout. La tortue est comme les oiseaux : elle a un bec.

Alors tous nous faisions : Oooh ! par bienséance.

J'ai assisté trois fois à cette comédie. 11 est vrai que i'ai redoublé la neuvième.

Nos parents, à Julien et à moi, donnaient deux sous à chacun, ces Jours de sortie. Ils avaient discuté ensemble. Maman n'aurait pas consenti à me donner plus que Madame Jardinier ne donnait à Julien ; comme leur situation était plus modeste que la nôtre, c'était à Madame Jardinier de décider.

— Qu'est-ce que vous voulez que ces enfants fassent avec cinquante centimes? s'était-elle écriée. Et ma mère accordait que deux sous étaient « parfaitement suffi- sants. »

Ces deux sous étaient dépensés d'ordinaire à la boutique du Père Clément. Installée dans le jardin du Luxembourg, presque contre la grille d'entrée la plus voisine de l'Ecole, ce n'était qu'une petite baraque de bois, peinte en vert, exactement de la couleur des bancs. Le Père Clément, en tablier bleu, tout pareil aux anciens

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