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NOTES 621

d'idiome ne leur nuise pas trop ; et pourtant, tous ensemble, ils forme- raient aux yeux du lecteur une troupe curieuse et allègre.

« Comment, dira-t-il, avons-nous pu prendre ces geng-là pour des Espa- gnols ?» Il y a chez nous une conception courante du caractère espagnol, de l'âme espagnole. Si vous en enlevez quelques traits, d'un bas roma- nesque, dont la fausseté est évidente, l'image n'est pas si infidèle, me semble-t-il. Mais rapportée aux Catalans, elle devient une méprise, dont ils sourient bien qu'ils s'en plaignent. Puisque nous avons la chance, en somme, de ne posséder de la Catalogne aucune représentation convenue, allons chercher son regard dans les yeux de ses poètes.

Une autre raison rend opportune l'amitié intellectuelle de la France et de la Catalogne. Je ne crois pasm'avancer trop en insinuant que l'Europe d'aujourd'hui récèle beaucoup de forces incohérentes, insoumises, mieux faites pour se disperser ou se combattre que pour se mettre en faisceau. Si nous sortions d'une longue période de discipline, ce désordre nous semblerait plein de fraîcheur et rajeunissant. Mais le XIX* siècle ne nous a point fatigués d'harmonie ; et, bien avant la guerre, l'on souhaitait un fige d'organisation, de maturité. Vœu qui n'a pas passé de mode, si j'en crois nos oracles. C'est peut-être même ce qu'il faut distinguer de plus clair sous les dissertations qu'on nous prodigue de tous côtés. Raison, intelligence, cartésianisme, tradition classique, autant de façons de dire qu'on serait content de construire quelque chose d'équilibré, d'à peu près définitif, avec les matériaux qui nous encombrent. Je dis « avec ». Car il faut bien considérer comme négligeable l'opinion de ceux qui parlent de construire, mais que les matériaux épouvantent. Construire le néant, ou même reconstruire le passé, solutions commodes et piteuses. L'anarchie vaut encore mieux, ayant plus de verdeur.

Ehbien ! les gens capables de construire, j'entends de mettre au point, d'équilibrer une grande civilisation intellectuelle, en sacrifiant le moins possible des matériaux accumulés par nos prédécess urs, ne me paraissent pas très nombreux dans l'Europe d'aujourd'hui. Rivière disait récemment, d'une manière un peu brusque et injuste, que nous seuls Français avions gardé une certaine santé mentale, et que seul compte- rait, dans le prochain avenir, ce que nous penserions. Je veux retenir de cette boutade que, si d'autres excellent à déterrer les marbres précieux ou les métaux rares, il est sage de s'adresser à nous au moment où l'on a besoin d'architectes. Mais encore faut-il que le besoin en soit généra- lement ressenti, et que tous les autres ne se complaisent pas indéfiniment dans l'ivresse de leur désordre. Nous devons donc rechercher avec soin et fréquenter affectueusement ceux que leurs dons naturels, leurs aspi- rations spontanées nous désignent comme collaborateurs immédiats. Nous n'en trouverons pas de mieux doués qu'en Catalogne. Bon sens, optimisme, goût de la vie, ils ont tout cela, sans l'emphase ni la légèreté méridionales si odieuses à juste titre aux hommes du Nord. Qu'ils soient invulnérables, que de mauvaises Influences ne puissent un jour les

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