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020 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

vrir des nations opprimées, et il n'est moulins à vent que nous n'ayons assaillis au nom du droit des peuples. Je ne suis pas certain que les effets de cette belle passion aient été excellents et que l'Europe s'en porte mieux. Je m'en voudrais donc de désigner à notre manie un aliment nouveau. P]t les Catalans eux-mêmes, du moins ceux que je connais, sont trop sages pour le souhaiter, f.eur nationalisme n'est point une doctrine de catastrophe. Ils ne préparent pas méthodiquement la guerre civile, et je doute qu'ils nous ménagent pour 1950 l'occasion d'une guerre mondiale. J'ai pu voir tfassez près jouer les institutions autonomes dont ils sont fiers et dont ils attendent la gloire future de leur patrie. Je n'ai pas vu parader de gymnastes, ni de sociétés plus ou moins camouflées d'instruction militaire. J'ai vu une belle bibliothèque, un musée, des écoles de tapisserie, de céramique, de métallurgie, d'agri- culture. Les Catalans se font cette idée, bien paradoxale en 1920, mais qui a peut-être quelque avenir, qu'une civilisation élevée et harmonieuse est une arme à peine moins efficace que l'artillerie et se démode moins vite.

Vous ne serez donc pas étonnés de Limportance qu'ils accordent à leur poésie. Ils vénèrent, ils chérissent en elle la flamme centrale de leur activité, l'origine des pulsations. Je me rappelle un mot admirable de Miquel Ferra. Comme nous visitions des laboratoires de chimie, des ateliers de ferronnerie, d'ébénisterie, et que je me réjouissais du spec- tacle d'une ferveur à la fois si une et si diverse, il me dit : « Là-dessous, voyez-vous, il y a la langue catalane, il y a la poésie catalane. > Et Alex uidre Plana a écrit très exactement : « Toute l'évolution récente de n( tr ' po.'sie est une manifestation, la plus haute et la plus pure, de l'initiât i >n de la personnalité catalane au monde harmonieux et éternel- leni'-nt en formation de la culture. C'est une initiation qui a commencé dai:s l'ordre des lettres pour s'étendre, par un progrès lent et sûr, à chacu.ie des activités sociales. »

Un peuple accoutumé depuis des siècles à une existence incontestée devient ingrat pour sa poésie. Et si de gros intérêts l'occupent — hégé- monie, industrie, négoce — il est comme l'homme riche, comme le commerçant dont « les affaires ronflent » ; il oublie qu'il a une essance pour ne penser qu'à son volume. Mais un p-uple méconnu, nié, se ramasse autour de son centre spirituel, éprouve à chaque moment le besoin d>f!- vérifier sa raison d'être et se rassure au contact de sa poésie.

Beaucoup de nations ont été fondées par l'épée. La nouvelle Catalogne a été fondée par des livres. La parole de l'Evangile ne la menace donc point. Les manuels d'histoire qu'on distribuei-a plus tard aux enfants des écoles catalanes, s'ils sont exacts, indiqueront en caractères gras, comme dates principales à retenir, l'apparition d s premières œuvres de Verda- guer,puis de Joan Maragall, d'Alcover, d'Eugeni d'Ors, de LopezPico,etc.

Il serait très désirable qu'une anthologie de la poésie catalane fut donnée en traduction française. Ces auteurs, par leur langue comme par leur inspiration, sont assez près de nous pour que le changement

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