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6l4 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

poser à la terre. Il proclamait la nc'cessitc de défaire ce monde d'injus- tice, de faire taire la défiance universelle. Mais la guerre éclate, il la considère comme la révolution qui tient à des causes mondiales, qui vient inévitabl ment quand le système économique et le système social ne répondent plus aux besoins présents, qui sont de l'humanité entière. I.e malheur est qu'ils soient éprouvés comme des besoins nationaux, alors que nulle nation n'est plus assez grande pour avoir son industrie, son commerce, ses finances, son organisation du travail à ell'% et qu'en tout elle dépend de tous. Et l'image vient au secours de l'idée encore confuse : des forci'S qui ne sont pas d'ordre national ont fait éclater le cadre des nations aux endroits de moindre résistance.

Reconnaître la nature de ces forces, dépouiller le nationalisme qui les orientait à faux, et en leur gardant un caractère anarchique les faisait s'entre-détruire alors qu'elles devaient concourir — c'est une première leçon à tirer de la guerre. Rathenau ne croit pas que les vainqueurs aient fait ce pas vers la connaissance. La paix de Versailles leur a donné l'illusion que perdurait un ordre en réalité aboli. Ce serait leur faiblesse de l'entretenir artificiellement, tandis que l'Allemagne, apprenant du malheur, obéissant à de plus pressantes nécessités, se renouvellera.il n'y a plus de domination allemande au sens d'hier. Mais il reste à l'Allemagne, pense Rathenau, une mission, mission spirituelle, geistige Sendung, qu'elle remplira sous conditions.

Un examen de conscience est avant tout nécessaire au peuple alle- mand. II faut qu'il se connaisse, qu'il reconnaisse les erreurs dans lesquelles il était engagé. Il lui manque ce qu'il se flattait de posséder : un pouvoir d'orientation. D'autres peuples ont ce qu'il faut pour créer une civilisation, pour introduire utie forme, pour l'imposer; ils sont formés. L'Allemand demeure amorphe, incapable de se donner sa forme à lui, de figurer quoique ce soit. On lit dans die neue Gesellschaft : « Que dans aucun des domaines de l'existence, qu'il s'agisse d'œuvre « d'art ou de formations militaires, de constitution de l'État ou d'une « société par actions, du sanctuaire ou de la table, nous, n'ayons pas « inventé une seule forme nouvelle, substantielle et durable, ce n'est « point pur hasard. »

C'est nature. Les qualités allemandes sont ailleurs. Vues sous le plus beau jour elles consistent à comprendre tout «-e qui est, à ne rien exclure de ce qui pourrait être, à accueillir l'univers, à se l'intégrer — ou, si l'on voit en noir — à s'intégrer à lui, à se laisser intégrer par lui.

Dans cette acceptation d'un être passif que modèle l'aicident, gît la faiblesse de l'Allemagne. Durant le dernier demi siècle elle a épouse une figure qui n'était pas la sienne. Les traits qu'elle a pris sont ceux de la" Prusse. Il n'en pouvait être autrement. D'une part, une matière riche mais molle ; de l'autre, un moule vide mais rigide : la substance alle- mande s'y est coulée. Elle a cru y tenir tout entière et y devenir définitivement cohérente. Or, ce n'r'st pas une personne qui se formait : l'Allemagne ne se déterminait pas elle-même, elle s;; laissait déterminer;

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