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NOTES 603

Ballads, avait paru, il y a quelques dix ans, dans une revue française. En collaboration avec M. J. Armand-Didier, l'auteur de cette note avait publié en 1914, dans les Ecrits français, un choix de pièces extraites des Seven Seas, recueil où se trouvent peut-être les chefs- d'œuvre du poète anglais. Pour avoir vivement choqué le « boerisme » qui servit d'exutoire au chauvinisme français, et pour avoir fait une peinture satirique des Bandar Log où se reconnaissaient quelques traits de notre caractère national, Rudyard Kipling, poète de l'impé- rialisme britannique, vit chez nous sa réputation éclipsée par celle de Walt Whitman, dont l'internationalisme humanitaire cadrait aux idées naguère en pleine faveur.

Depuis lors Kipling n'a manqué aucune occasion de manifester sa sympathie pour notre pays. D'autre part, le monde assistera peut- être demain au déclin de la puissance formidable dont il a chanté l'apogée, de cette Amphitrite debout sur la proue d'un navire mons- trueux, escortée de mille dauphins d'acier vomissant des vapeurs obscures.

Comme l'observe très bien M. Pierre Mac-Orlan dans la préface mise en avant de cette traduction, les Chansons de la Chambrée sont l'épopée d'une armée de métier, de Tommy Atkins, profes- sionnel de la guerre aventureuse, condottiere colonial, type appelé bientôt à disparaître dans une époque de haute civilisation comme la nôtre. En effet, la guerre n'y soufire plus de fantaisie. Tout est réglé désormais dans ce cataclysme méthodique où chacun, homme, femme ou enfant a sa tâche et sa fin marquées !

« La beauté littéraire de cette existence de soldat aventurier » écrit M. Mac-Orlan « est de n'avoir aucun idéal social devant elle. » Il faut voir comment Kipling en sait exprimer les joies brutales et les nostalgies amères. Sur le moindre thème que l'esprit de corps inspire aux aèdes anonymes des armées, il jette un réseau d'images flam- boyantes et déroule en quelques vers un paysage inoubliable. Voici les culassiers en action :

Il y a une roue sur les cornes du matin et une roue sur la marge de

l'abîme, et une chute dans le vide au-dessous de vous, aussi droite que le jet de

salive d'un mendiant.

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