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582 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

efforçons de solliciter l'expérience et notre pouvoir d'imaginer pour nous représenter la nature et l'étendue des répercussions que le conflit mondial a eues sur la vie de l'intelligence. Même à défaut d'un intérêt spéculatif, le malaise général des esprits nous serait une raison de retenir la solution offerte par Romain Rolland et de la soumettre à l'épreuve d'une critique soucieuse d'impartialité.

Pour Romain Rolland penché sur la vie intérieure, la guerre ne fît que prolonger, renouveler les certitudes et les incertitudes de Jean- Christophe. Désireux de déterminer le sens de l'évolution humaine, il avait, dans sa jeunesse, cru pouvoir circonscrire le travail intel- lectuel du XIX* siècle. Il lui semblait qu'après un recueillement et une sorte d'examen de conscience où chacun mesurait ses propres forces, des liens de culture s'étaient établis en Occident entre les peuples de différentes nations et avaient favorisé la constitution d'une culture européenne. Il annonçait une morale, une science, une foi nouvelle qui unissaient les esprits à travers l'espace. Et voici que l'intervention de forces élémentaires, aveugles, brutales, sub- stitue la haine à l'amour, asservit les consciences, déchaîne le men- songe. Tous liens sont brisés. Ainsi se trouve compromise pour un temps l'unité humaine que la pénétration mutuelle des civilisations et l'harmonie des forces intellectuelles étaient en train de réaliser. Dans l'Occident en proie aux antagonismes, à 1' « isolement armé », l'idéalisme européen s'est écroulé. Faut-il donc abandonner les con- victions de l'âge mûr, se mettre en quête d'une foi nouvelle ? Romain Rolland ne le croit pas. La pensée hellénique en témoigne qui connut aussi des moments semblables. Elle a pu assister à l'entre- choc des civilisations sans cesser de dominer les vicissitudes de l'histoire, et Empédocle d'Agrigente ne livre-t-il pas le secret de la sérénité lorsqu'il dit la victoire alternée de la haine et de l'amour. Et, se détournant d'un passé mort, Romain Rolland cherche, dans les œuvres de quelques-uns, les gestes, les paroles qui annoncent le retour de l'amour. Tout mouvement de bonté, de compassion, pour la souffrance, tout mouvement d'indignation et de révolte pour la cruauté lui sont des raisons de se reprendre et de connaître enfin que la haine sera vaincue. De ce qu'une régression se produit, il ne s'ensuit pas que l'espèce humaine en marche vers l'unité soit arrêtée à jamais ; il se peut même que le conflit lançant les uns

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