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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 573

Si ce roman n'a pas été écrit, et si le roman contraire, celui de la destinée {Servitude et Grandeur militaire sort de la même âme que les tercets des Destinées) s'est imposé seul, il me semble que cela tient à de simples raisons d'histoire littéraire. Depuis plus d'un demi-siècle, le roman français suit uniformément cette direction. Il est le roman d'une destinée qui s'accomplit et, généralement, d'un être qui se défait. Il a son type en Madame Bovary, sur laquelle tout le roman français, depuis soixante ans, est bâti, comme toute la tragédie française était bâtie sur le Cid et Andromaque. Le mot profond par lequel Charles éclaire toute sa destinée : « C'est la faute de la fatalité », peut servir d'épigraphe à ce roman et à ceux qui l'ont suivi ces soixante ans : romans de la fatalité. Les trois romans modernes de Flaubert, tous les romans des Concourt, de Daudet, de Zola, de Maupassant, les premiers romans de Bourget, le continuel roman de Loti, les quelques vrais romans d'Anatole France, le Roman de l'Energie Nationale, tous déroulent une desti- née triste que l'on porte, suivent une destinée qui retombe, et nous montrent plus ou moins les baguettes noircies du feu d'artifice éteint. « Un homme qui se défait, dit Barrés dans la Mort de Venise, c'est tout le pathétique. »

Cette direction que le roman français a suivie après Flaubert n'était nullement celle qu'il suivit entre 1830 et 1857. La Comédie Humaine comporte évidemment des baron Hulot, mais dans son ensemble elle est surtout un laboratoire de volontés ardentes, le creuset où se construit un monde qui veut vivre et qui vit, très charnellement et puissamment. Le grand roman de l'époque, le Rouge et le Noir, est le roman de la volonté. A un degré inférieur, les romans de George Sand figurent pareillement des constructions d'êtres, et les Misérables aussi. Il semble que les deux massifs du roman français au XIX" siècle, avant et après 1857, s'équilibrent comme Corneille et Racine, comme le théâtre de la volonté et le théâtre de la passion.

Cette seconde période continue. Elle a continué pendant la guerre comme la littérature classique continuait pendant la Révo- lution et l'Empire. Pour Stendhal, le roman de la guerre sera natu- rellement une «aventure», celle d'un jeune homme ardent, Fabrice, qui part pour se battre aux côtés de Napoléon. Pour la littérature

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