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LE PARADIS DES CONDITIONS HUMAINES 5^9

— Cela monte du pays.

Une dissonance légère et stridente bourdonnait le long des octaves, comme un nuage d'insectes en danse autour d'un sureau.

— Un moteur.

— Un rouet de métal.

— Mais qui chante, puisque le pays est vide ?

— Oh, mon Dieu!

Une même pensée nous venait à tous.

— Silence ! Ce sont les sphères.

— Les sphères, et le reste.

— Tout ce que nous venons de créer.

— Descendons ! Ah, descendons !

Une passion irrésistible s'emparait de nous. Nous sommes descendus et nous nous sommes mis à parcourir inlassablement les terres de notre domaine. Nous n'arri- vions pas à épuiser l'admiration que nous causait notre pouvoir; notre ivresse était celle du modeleur et celle du musicien. Nous avons ainsi creusé des lacs, régula- risé des torrents, distribué des essences et tracé des chemins^ jusqu'au jour où, levant sur le ciel nos yeux gris, nou^s y avons fait éclore la tendre et brûlante lumière qui nous baigne.

Nos courses nous amenaient souvent sur des hauteurs d'où nous pouvions suivre les étonnantes modifications des pays voisins. La vallée des mortes faisait seule excep- tion ; là rien ne changeait; les jardins verdoyaient, les cloches annonçaient la régularité des usages et le retour perpétuel des choses ; et il semblait que cette contrée fût destinée à nous rappeler que, dans un monde livré à l'invention, il y a toujours place pour ce qui dure.

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