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NOTES 46^

Si la musique de M. de Falla était moins servilement inspirée du folk-lore espagnol et surtout si elle avait un peu plus de distinction harmonique, le Tricorne serait le chef-d'œuvre de la saison. Après une affreuse et inexplicable affiche de gare dont Picasso a cru, je ne sais pourquoi, devoir un instant affliger nos yeux, le rideau se lève sur un décor vraiment délicieux, et qu'on découvre bientôt calculé avec un soin admirable pour former avec la sombre élégance des costumes les plus diverses harmonies. On sent ici tout ce dont Picasso serait capable, s'il pouvait seulement perdre cette manie de chercheur d'or, qui le pousse toujours de préférence dans les chemins où il est assuré que personne ne le suivra, et qui lui fait placer le comble de l'art dans le continuel efficacement de ses propres ves- tiges. Pour une fois le voici sans autre souci que de plaire : et il y réussit du premier coup avec un bonheur qui fera l'envie de beau- coup. J'imagine pourtant que ce succès ne doit pas le laisser sans remords et que déjà il songe aux moyens de le faire oublier. Tant pis! Ne songeons, nous, qu'à notre plaisir, qui est grand.

Je n'ai pas la compétence qu'il faudrait pour discerner ce que la chorégraphie du Tricorne doit à la danse populaire espagnole. On me dirait qu'elle en est toute entière transposée, que je ne m'éton- nerais pas outre mesure. Mais pourquoi m'en plaindrais-je, puisque c'est la plus vivante, la plus spontanée, la plus gaillarde que Mias- sine ait su combiner? Le pas qu'il danse lui-même tout seul, par instants nous donne quelque hallucination de Nijinski : c'est le plus bel éloge qu'on en puisse faire.

Le Chant du Rossignol, pris dans son ensemble, est sans aucun doute à la fois le moins réussi et le plus riche des trois nouveaux ballets. C'est une œuvre ardue, prétentieuse, magnifique, gorgée d'intelligence, pétrie de rareté. Matisse a comme digéré la Chine avec son cerveau acide et il l'y a retrouvée réduite à trois ou quatre cou- leurs fondamentales, dont il a bravement aussitôt badigeonné à plat tout son décor. L'effet, au premier abord, est saisissant : on le trouve un peu plus facile à la réflexion. On ne s'en lasse point pourtant aussi vite que l'esprit le voudrait. C'est que cette extrême simplicité tonale, dont les costumes entreprennent un commentaire franc et suave, donne à l'ensemble du spectacle, une cohésion et une har-

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