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454 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

^évidence : Les moyens employés ici étaient les bons (sinon les seuls imaginables) et voici les principes du même coup justifiés. Léontès, roi de Sicile, a depuis quelque temps chez lui le roi de Bohême, Polixénès. Ils sont amis depuis l'enfance. Jamais une ombre ne s'est levée entre eux et non plus entre Léontès et sa noble dame Hermione; leur fils Mamilius grandit doucement dans la joie ; un autre enfant est attendu. Au moment de quitter la cour de Sicile, Polixénès se voit retenu par l'insistance des ses hôtes. Du moins, si Léontès échoue, Hermione, plus habile en ces sortes de choses, finit par obtenir du roi de Bohême la promesse de demeurer. Résiste-t-on à une femme si bien disante et à son sourire enchanteur ? Ce n'est certes pas la première fois qu'elle parle ainsi à «Bohême», et jamais Léontès, à ce qu'il semble, n'en prit om- brage. Mais ce grand gaillard roué, «Sicile», est un sensuel, un violent, un sanguin, à la merci de sa colère, le jour où le démon voudra souffler le doute en lui. Un serrement de mains, une parole trop tendre perçus avec plus d'acuité que d'ordinaire, vont pénétrer son crâne épais, déchaînant soudain un monde d'images qui ne seront que le grossissement de ce que Léontès a réellement vu — et comme il a vu les mains se serrer, ainsi voit-il les deux bouches s'unir et la consommation de l'adultère. En train de jouer avec son fils^ il envoie, d'un grand coup de pied, promener les jouets de l'enfant et se redresse de toute sa taille ; le démon furieux de la jalousie nage dans son gros sang : il est hanté. — jamais le mou- vement d'une passion irrésistible ne s'inscrivit si visiblement devant nous. Oui, voilà du Shakespeare (et du grand Shakespeare) en vie : Léontès est sorti du livre, et il a retrouvé son corps. A ce moment il occupe toute l'avant-scène et les raisons innocentes de sa folie, Polixénès et la reine Hermione, ne sont que deux ombres lointaines qui se découpent sur le mur. — Or, le seigneur Camillo, fidèle serviteur du roi, s'avance. Chez un homme comme Léontès, l'acte marche sur les talons de la pensée ; il faut que, dans l'instant, le seigneur Camillo l'approuve, partage son erreur, le venge, si ce n'est sur la reine, tout au moins sur «Bohême», et à celui-ci verse le poison. iSdais, en face de ce «Bohême», qui a le visage même de la droiture, Camillo ne peut se tenir de révéler le projet de son maître ; l'ombre de la crainte est sur eux : ils s'enfuieront. — Rien

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