Page:NRF 14.djvu/418

Cette page n’a pas encore été corrigée

412 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Il alla chercher la grosse Bible que j'avais entrevue, et la posa sur la table desservie. Sa fille et ses petits enfants se rassirent à ses côtés, devant la table, dans une atti- tude recueillie qui leur était très naturelle. L'aïeul ouvrit le livre saint et lut avec solennité un chapitre des Evangiles, puis un Psaume. Après quoi chacun se mita genoux devant sa chaise, lui seul excepté, que je vis demeurer debout, les yeux clos, les mains posées à plat sur le livre refermé. Il prononça une courte prière d'ac- tion de grâce, très simple, très digne et sans requêtes, où je me souviens qu'il remercia Dieu de m'avoir indiqué sa porte, et cela d'un tel ton que tout mon cœur s'asso- ciait à ses paroles. Pour achever, il récita "Notre Père", puis il y eut un instant .de silence, après quoi seulement chacun des enfants se releva. Cela était si beau, si tran- quille, et ce baiser de paix, si glorieux, qu'il posa sur le front de chacun d'eux ensuite, que, m'approchantdelui moi aussi, je tendis à mon tour mon front.

Aujourd'hui que dans le confort et la paix tous les caractères s'émoussent et s'aplanissent, je doute si les descendants de ceux-ci présenteront des outrances aussi marquées. Ceux de la génération de mon grand-père gar- daient vivant encore le souvenir des persécutions qui avaient martelé leurs aïeux, ou du moins certaine tra- dition de résistance ; un grand raidissement intérieur leur restait de ce qu'on avait voulu les plier. Chacun d'eux entendait distinctement le Christ lui dire, et au petit troupeau tourmenté : « Vous êtes le sel de la terre ; or si le sel perd sa saveur, avec quoi la lui rendra-t-on ? »

Et il faut reconnaître que le culte protestant dans la petite chapelle d'Uzès, présentait du temps de mon en-

�� �