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288 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

hommes de fortune. On trouve aussi chez lui un peu de l'esprit froidement mytificateur d'un Alphonse Allais, car un sens aiguisé du grotesque accompagne souvent une vive perception du tragique quotidien de la vie. Mais on se fatigue de ne trouver dans un livre que des êtres crapuleux, nous savons peu de gré à l'auteur de nous les rendre odieux, mais s'ils deviennent, grâce à son art, plaisants et ridicules, sans cesser d'être vrais et ressemblants, nous prenons intérêt à découvrir sous la grimace, les tares secrètes et inquiétantes.

Je ne me flatte pas d'avoir fait une analyse satisfaisante du mystère complexe où se meuvent les créations de M. Pierre Mac-Orlan. Lui-même peut-être n'a-t-il pas encore pris com- plètement conscience de cette qualité intime de son talent. Le dénouement du Chant de l'Equipage laisse paraître une hésitation assez significative, comme si l'auteur avait hésité à prendre parti entre l'humour et le roman d'aventures. Ce n'est pas que le livre manque, à proprement parler, d'unité de ton, c'est plutôt que cette unité même est faite à certains endroits du récit d'-un compromis entre les tendances qui sollicitent l'imagination de l'auteur lequel a craint de prendre trop au sérieux l'histoire de Joseph Krûhl. Ce n'est pas sans un peu de gêne ou d'effort que l'on retombe dans le ton humoristique.

Entre tous les ouvrages de M. Mac-Orlan je garde une prédilection pour les Poissons morts. Livre étonnant, où se trouvent peut-être les pages les plus saisissantes qu'on ait écrites sur la guerre. Dans leur simplicité terrible, les histoires de rats restituent, avec une force et un relief sans égal, ce grotesque macabre et cette morne fatalité qui faisaient le fond de la vie du fantassin.

Ici l'art de M. Pierre Mac-Orlan s'apparente aux inventions d'un Charlie Chaplin. Il rend sensible le comique formidable de l'homme en lutte avec l'obscure malfaisance des choses et la sourde hostilité des dieux inconnus.

Et quelle langue savoureuse et drue ! Je sais bien qu'en l'espèce "le temps ne fait rien à l'affaire" ; mais si l'on songe que M. Mac-Orlan n'a jamais mis trois mois à écrire un roman, on peut tout attendre de lui pour le jour qu'il voudra se

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