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NOTES 287

échouer dans le feuilleton, son imagination et son talent de romancier ont pris un tour de plus en plus littéraire, comme si, à chaque œuvre nouvelle, l'auteur s'efforçât de justifier son succès, et qu'il en prétendît d'autres, d'une qualité plus rare. L'un des tout premiers, il eut l'intuition de la crise qu'allait subir le roman de mœurs et s'avisa d'offrir a un public gavé de psychologie, l'aliment salubre et tonique du roman d'aventures.

Mais cette forme romanesque dont nous voyons la vogue exploitée sans ménagement et sans choix, il la conçut en poète. L'imagination de M. Pierre Mac-Orlan est proprement lyrique. Elle ne se dépense pas a ourdir les intrigues compHquées ou les situations extraordinaires où triomphe la méticuleuse fantaisie de M. Pierre Benoit. Une trame simple, des péripé- ties peu nombreuses et qui, si l'on y regarde d'un peu près, n'ont rien de bien imprévu ; et pourtant l'atmosphère aventu- reuse baigne les histoires qu'il conte avec un accent si singulier. C'est que dans les romans de M. Mac-Orlan, les figures et les sites, même les plus grotesques ou les plus plats, ont une poésie étrange et mystérieuse. Toute convention en est absente et tout pittoresque usé. L'auteur néghge a dessein les effets les plus sûrs. Il se flatte d'atteindre son but, et presque toujours il l'atteint par les traits les plus dépouillés.

A cet égard le premier chapitre du Chant de V Equipage est caractéristique. Du premier coup le lecteur est porté dans un univers aux formes étranges et pourtant précises ; la cocas- serie, l'amertume, le rire et la passion y fermentent. Les germes de l'aventure commencent d'apparaître, à la façon de ces végétations lunaires dont Wells évoque la soudaine croissance. M. Pierre Mac-Orlan a une façon de conduire un récit qui rappelle un peu Stevenson. Un apparent désordre de gestes s'enchevêtre autour de deux ou trois figures cen- trales. Le Hollandais Joseph Kriihl est un personnage digne de l'auteur de ïlle au Trésor. Il y a plus d'un trait de ressem- blance entre l'éblouissant écrivain anglais et M. Pierre Mac- Orlan, grand admirateur d'Edgard Poë au surplus, et grand lecteur de vieilles histoires de boucanerie et de gentils-

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