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NOTES 283

" des lèvres, nous ne pourrons plus nous montrer, même avec " une jambe de bois. Si on paraît avoir de l'argent, on ne se " sera pas battu. Avec un faux-col et des gants, on ne croira " jamais que tu as été dans les tranchées, et le charretier " du train de combat, le laveur des camions automobiles, le cuistot du colonel, le mécanicien en sursis, tout cela t'inju- " riera dans la rue et te demandera où tu te cachais pendant " la guerre. Moi, cela m'est égal. Pour être sûr de ne pas me " faire écharper, dès que je verrai que cela tourne mal, je " m'achèterai des espadrilles, une casquette de trente-neuf " sous, et je ferai ma toilette avec du cambouis... Ça et une " cuite, on est à peu près sûr de s'en tirer : les ivrognes sont " les seuls qu'on épargne, pendant les Révolutions. "

Un homme libre ? A coup sûr. Et qui regarde toutes choses en face, ne cherchant jamais à les prendre par le biais favo- rable aux préventions, aux formules toutes faites. Autant il met de simplicité à constater l'affreuse vérité de l'homme, de la guerre, de la vie et de la mort, autant il apporte de soin à préserver son jugement des généralisations faciles et son indépendance d'esprit des réflexes mêmes de la souffrance. Clairvoyant et sévère à l'endroit des adjudants lâches, ou des galonnés qui se planquent, il n'éprouve pas le besoin d'ampli- fier ces exemples pour le besoin d'un prêche déclamatoire. Il ose montrer des choses que certains ont cru devoir cacher ou travestir, comme par exemple la fierté du régiment décimé qui a fait l'attaque, et qui défile dans un bourg de l'arrière :

" ... Et de toute les têtes tournées, de tous les yeux brillants, " de toutes les lèvres, le même cri d'orgueil semblait jaillir : " c'est nous I c'est nous I "

" La musique sonore nous saoulait, semblant nous emporter

    • dans un Dimanche en fête ; on avançait l'ardeur aux reins,

" opposant à ces larmes notre orgueil de mâles vainqueurs.

" Allons, il y aura toujours des guerres, toujours, toujours. "

Après la constatation d'un fait, l'hommage à la beauté d'un état d'âme collectif qui arrache les hommes, l'espace d'un moment, à l'instinct de conservation, à la notion même de leur misérable destinée, combien paraît plus touchante et d'un

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