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282 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

L'esprit de Dorgelès a le bouquet du boulevard et de Montmartre. Au cours de sa laborieuse carrière de journaliste il a cueilli bon nombre de ces bizarres et naïves fleurs du pavé de Paris, dont la graine trouva, dans le peuple des tranchées, un terrain d'élection.

Jamais l'argot n'a été manié avec autant de tact et de sûreté, avec un pareil bonheur dans les transitions du langage littéraire à la langue verte. A côté des trouvailles de mots, que de com- paraisons imprévues et piquantes où revivent ces aspects cocasses entrevus brusquement dans les intervalles de la tragédie. Mais à quoi bon citer ce que tout le monde a lu ?

Un honnête homme ? Certes et dans la plus large acception. Dorgelès a de l'enthousiasme, l'ardeur généreuse, et tous les sentiments de la plus noble charité, mais il porte dans chacun une discrétion mesurée, une pitié nuancée d'ironie, une tendresse clairvoyante et indulgente à la fois, en un mot cette poUtesse du cœur qui est la marque d'un jugement droit et d'une tête bien faite sur les épaules d'un homme bien-né. Français de bonne souche.

Qu'il nous peigne les lieux les plus secrets, les plus troubles, les j>arties crapuleuses de l'âme de ses héros, ce n'est jamais aux dépens de la sympathie qu'il leur a vouée une fois pour toutes et qu'il sait si bien faire partager au lecteur. Ici le mot de pitié ne sonne jamais faux, et ne sert pas d'amorce aux appels à la haine sociale. Des deux protagonistes du livre, Gilbert etSulphart, l'intellectuel et l'homme du peuple, il s'est plu à faire deux camarades qui s'aident à vivre et à mourir. Avec une finesse pénétrante il a su rendre sensibles les senti- ments menus dont la somme compose ce qu'on appelle le courage, cette forme sublime du respect de soi-même ; et qui n'est ni plus ni moins belle, ni plus ni moins capable d'émou- voir, chez un être fruste ou chez un être raffiné.

Tous les écrivains, tous les artistes, tous les intellectuels qui ont fait la guerre n'ont-ils pas éprouvé un soulagement en lisant ce passage: (C'est Gilbert qui parle, mais on sent bien qu'il ne répond pas seulement à son interlocuteur)

" — Après la guerre, reprend-il, son sourire déçu au coin

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