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274 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

roman anglais de Tépoque victorienne a l'incomparable secret de faire pousser un étr« de façon entière, insensiblement, sans à coups, — ou à peu près ; car peut-être reste-t-il un peu de trépidation, de saccade nerveuse et de brusquerie dans Dickens. Mais quelle perfection chez Thackeray ! En lisant la Foire aux Vanités, ne sent-on pas de l'intérieur, et par une mystérieuse sympathie, grandir George Osborne, Dobbin, Alice, Tenfant passer à l'homme en une sûre continuité, rester le même et de- venir nouveau, épouser la logique imprévisible de la vie \ Et cela George Eliot l'a fait mieux encore que Thackeray, à un point qui ne paraît pas pouvoir être dépassé.

Quand M. Bergson a voulu aborder par son point central cette vision de la vie qui lui était apparue dans son thème élémentaire et simple, il est allé tout droit au problème de la liberté. Ce problème devrait apparemment fournir au roman une matière inépuisable, et pourtant, sauf des exceptions très hautes comme la Princesse de Clèves, il semble que presque tout le roman français ait pris le déterminisme comme un postulat inconscient, se soit donné pour tâche de dissiper, selon l'expres- sion spinoziste, cette ignorance des causes qui nous déterminent, mise pour nous avec un exposant positif au compte de la liberté. Il n'en est pas de même du roman anglais, et je renvoie à ce que j'ai dit ailleurs du roman d'aventures et de Robinson. En tout cas, George Eliot en se plaçant en plein courant de la vie a senti s'imposer à elle les drames de la liberté, la vision des moments privilégiés, où la vie s'éprouve dans toute sa fécondité virtuelle et, d'un flot unanime de tout l'être, se porte à l'acceptation d'une destinée. Dans tous ses romans, on retrouve ces moments privi- légiés qui se détachent en fils d'or, mais mêlés profondément à la texture suivie du récit. Quel est le grand tournant de Maggie Tulliver, en qui George Eliot a mis les plus vraies parties d'elle- même et qui doit occuper pour nous, dans cette galerie dont on aimerait parler entre Eliotistes (mais où sont-ils ? Sonnons tout de même ici au ralliement !) comme les Stendhaliens

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