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RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE 27 1

former, cristalliser sans hâte, au fur et à mesure des jours, des circonstances et des péripéties. Il n*en ra. pas de même du Rouge et Noir, où dès le début les personnages sont affirmés beaucoup plus entièrement, et où Julien (fort justement d'ail- leurs, car les conditions de ce roman sont tout autres que celles de la Chartreuse) ne comporte pas ce mûrissement de Fabrice dans son jardin d'Italie. Les romans de Balzac isolent des tranches déterminées et décisives d'existence. Et à vrai dire Flaubert dans Madame Bovary et dans V Education Sentimentale suit bien en somme la durée lente et progressive d'un per- sonnage, mais l'exception confirme singulièrement la régie, puisque cette durée même est prise comme un élément de caractère, un principe de nihilisme, que, rigoureusement, pour Flaubert, un être qui dure c'est un être qui se détruit, et que ces deux romans sont comme le tableau clinique de cette destruction. Même remarque pour les Concourt et Alphonse Daudet, qui ne représentent presque jamais (passez tout en revue depuis Charles Demailly jusqu'à Port-Tarascon) que des êtres qui se détruisent, que des durées qui se défont, si l'on peut appeler durée ces tableaux successifs, saccadés et sans continuité des Concourt diamétralement opposés aux " suites *' anglaises.

Observez que si ce sens et ce besoin de la durée font la solidité du roman anglais, ils ont rendu les Anglais absolument incapables d'écrire la nouvelle courte (alors que les Américains y ont si bien réussi), — la nouvelle courte, triomphe du conteur français et que nous voyons chez nous les plus médiocres pro- duire chaque jour pour les journaux avec une sorte de tour de main héréditaire. C'est qu'ici la durée ne paraît plus un flot qui nous porte ; mais au contraire un obstacle qu'il faut vaincre en y jetant rapidement un pont.

La durée du roman anglais ne défait pas, ne détruit pas, elle construit, comme fait chez nous celle de la Chartreuse de Parme. Les personnages, de l'enfance à la mort, naissent, grandissent,

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