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252 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

s'y occupaient. Je le savais bien ! Je fus si longtemps le spectateur de semblable travail durant mon premier séjour de trois années dans le Haut 1 J'y retournais aujourd'hui, et à ce passage à côté d'un village, l'instant qu'on y pilait le grain, le souvenir de Mogounga, de Bakoundé, de Douago, de Batouri, me revenait. Chacun de ces villages avait une petite place de terre battue et, une fois l'année, toutes les femmes, toutes, s'y réunissaient pour mettre en poudre les grains de maïs que des convois de pirogues avaient apportés de Nola par les rivières Maubéré ou Kadeï. Les pirogues arrivaient aux époques où la lune était pleine, toute rouge et encastrée dans le ciel massir et bleu, pareil à une énorme glaçon. Elle était haute dans le ciel lorsque les piroguiers survenaient. La rivière était d'encre ; elle coulait, solitaire, silencieuse ; à un coude lointain elle était dans le vide du ciel, mais brusquement paraissaient une, deux, trois, quatre, six pirogues, sorties de l'eau devant nos yeux, me semblait-il. Entre les deux lisières de forêt qu'étaient les rives boisées de la Maubéré ou celles de la Kadeï, dans une nuit bleu pâle que faussait à l'œil la pénombre des arbres, les piroguiers peints de rouge étaient des statues de cuivre. Ils abordaient ; les femmes s'étaient groupées sur la berge ; elles trépignaient en cadence ; leurs pieds seulement s'agitaient et elles criaient : " Aia... Aia... " en battant des mains pour marquer la mesure de leurs cris monotones ; et tout en regardant les piroguiers aborder, je prêtais l'oreille aux bruits grêles que faisaient en s'entrcchoquant les petits os humains qui paraient leurs bras. Les piroguiers abor- daient, accueillis par l'allégresse de ces femmes ; puis, sur une file, ils traversaient le village : chacun d'eux portait

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