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L ISOLEMENT 22^

Matadi était réserve d'un magasin de bonneterie avec la rue pavoisée de bandes de cotonnade rouge ; des gilets de flanelle, des chaussettes de coton, d'énormes chaussures de cuir jaune, parfois des casques de liège entoilés de blanc, donnaient au lieu l'apparence d'un déballage, aussi d'une " galerie " de marchandises au rabais. Un ennui mortel se dégageait de ces lieux, du Matadi quin- caillerie et du Matadi bonneterie. A passer entre les échoppes de quincaillerie ou entre les échoppes de bonne- terie, la ville, croyait-on, était tout entière vouée au commerce que l'on avait sous les yeux ; pas un visage n'animait l'une ou l'autre de ces rues ; une panique toute récente avait vidé la ville, semblait-il. Il fallait marcher en regardant l'intérieur des boutiques pour habituer ses yeux à l'obscurité ; on apercevait alors des individus immobiles en des fauteuils de rotin, la pipe ou la cigarette à la bouche.

Tout cela c'était le Matadi commerçant, accroché au flanc d'une petite colline noire, un Matadi aux rues escarpées et rocailleuses, un sol sous une croûte de pierre qui écorchait les semelles. Parfois je m'y aventurais. Après quelques pas je m'asseyais, las, à même la pierre d'une de ces plateformes aménagées de ci, de là, entre deux échoppes, pour le déballage des caisses venues d'Europe : j'avais sous le regard le lointain Bas-Matadi.

Au pied de la colline, un coude du Congo dans le soleil me brûlait les yeux ; cette large flaque d'eau était insoutenable ; la lumière la faisait massive et si dure entre les deux berges noires qu'elle était comme un énorme cul-de-bouteille fiché dans la terre et dont je sentais sur les yeux les arêtes coupantes.

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