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SI LE GRAIN NE MEURT 163

jurerais pas, naturellement, que j'aie compris d'abord la pleine beauté du texte sacré ! Mais cette lecture, il est certain, fît sur moi l'impression la plus vive, aussi bien par la solennité du récit que par la gravité de la voix de mon père et l'expression du visage de ma mère, qui tour à tour gardait les yeux fermés pour marquer ou protéger son pieux recueillement, et ne les rouvrait que pour porter sur moi un regard chargé d'amour, d'interrogation et d'espoir.

Certains beaux soirs d'été, quand nous n'avions pas soupe trop tard et que mon père n'avait pas trop de travail, il demandait :

— Mon petit ami vient-il se promener avec moi ?

Il ne m'appelait jamais autrement que " son petit ami ".

— Vous serez raisonnables, n'est-ce pas, disait ma mère. Ne rentrez pas trop tard.

J'aimais sortir avec mon père ; et comme il s'occupait de moi rarement, le peu que je faisais avec lui gardait un aspect insolite, grave et quelque peu mystérieux qui m'enchantait aussitôt.

Tout en jouant à quelque jeu de devinette ou d'ho- monymes, nous remontions la rue de Tournon, puis traversions le Luxembourg, ou suivions cette partie du Boulevard Saint-Michel qui le longe, jusqu'au second jardin, près de l'Observatoire. Dans ce temps les terrains qui font face à l'Ecole de Pharmacie n'étaient pas encore bâtis ; l'Ecole même n'existait pas. Au lieu des maisons à six étages, il n'y avait là que baraquements improvisés, échoppes de fripiers, de revendeurs et de loueurs de

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