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SI LE GRAIN NE MEURT I59

doucement, admirant la lente modification de la rosace. Parfois l'insensible déplacement d'un des éléments en- traînait des conséquences bouleversantes. J'étais autant intrigué qu'ébloui, et bientôt voulus forcer l'appareil à me livrer son secret. Je débouchai le fond, dénombrai les morceaux de verre, et sortis du fourreau de carton trois miroirs ; puis les remis, mais, avec eux, plus que trois ou quatre verroteries. L'accord était pauvret ; les change- ments ne causaient plus de surprise ; mais comme on suivait bien les parties ! comme on comprenait bien le pourquoi du plaisir !

Puis le désir me vint de remplacer les petits morceaux de verre par les objets les plus bizarres : un bec de plume, une aile de mouche, un bout d'allumette, un brin d'herbe. C'était opaque, plus féerique du tout, mais, à cause des reflets dans les miroirs, d'un certain intérêt géométrique... Bref, je passais des heures et des jours à ce jeu. Je crois que les enfants d'aujourd'hui l'ignorent, et c'est pourquoi j'en ai si longuement parlé.

Les autres jeux de ma première enfance, patiences, décalcomanies, constructions, étaient tous des jeux soli- taires. Je n'avais aucun camarade... Si pourtant ; j'en revois bien un ; mais hélas ! ce n'était pas un camarade de jeu : lorsque Marie me menait au Luxembourg, j'y retrouvais un petit garçon de mon âge, délicat, doux, tranquille, et dont le blême visage était à demi caché par de grosses lunettes, si sombres que, derrière les verres, on ne pouvait rien distinguer. Je ne me souviens plus de son nom, et peut-être que je ne l'ai jamais su. Nous l'appe- lions Mouton, à cause de sa petite pelisse en toison blanche.

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