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990 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

et des apéritifs. Je n'ai plus à moi que les 208 pièces de mon squelette. Je suis au niveau de la terre, les courants magnétiques du sol, le premier, j'en profite ; tout l'oxy- gène de l'air, c'est moi qui le brûle. C'est à Aurore que je vais devoir de me bien porter, de penser sainement et de vivre selon la loi de la terre.

— Bonne nuit, enfant, dit-elle. Que Dieu vous ait en garde !

Elle me quitte pour ce voyage de la nuit comme pour une périlleuse entreprise d'où nous pourrions ne pas revenir. Déjà, j'entends des fanfares. L'air pur m'anes- thésie ; pour la première fois de ma vie je dors sous le ciel.

��J'ai attrapé une angine à la belle étoile. Aurore me fait des tisanes au coin du feu, dans l'atelier. Puis elle raconte :

— J'arrivai aux Indes à l'automne de 1909, venant d'Aden. Un matin d'automne, sur une mer en fer blanc où nous découpions notre chemin à douze nœuds, Bombay tourna vers moi son visage de briques. Comme un dais de soie, le ciel était tendu aux cheminées d'usines, à droit-e et à gauche, aux rochers d'Elephanta. Le sillage des fu- mées demeurait au ciel plus constant qu'à l'eau celui des hélices.

Je restai six semaines dans la péninsule. J'avais des désirs de solitude, de courses dans l'air sec, que le séjour des terres basses ne satisfaisait pas. Les fleuves m'étaient comme de corrosifs marécages et les ports .atrocement déprimants. Je hais les vallées suffocantes où l'on ne chasse que de petites têtes. Je résolus de gagner Cachemir, puis le Thibet. Partie de Srinagar. j'arrivai dans une

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