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AURORE OU LA SAUVAGE 989

a chanté Wordsworth. Lorsqu'elle descendait à Londres pour la saison, elle brisait tous les cœurs. Mais elle aimait mon père. Elle le suivit au Canada quand il eut décidé d'y vivre. Elle vécut presque toujours couchée et mourut jeune.

C'est de mon père que je tiens mes goûts sauvages. Il me laissait grimper aux arbres, aux falaises où je déni- chais en haut les œufs de mouette, en bas les coquillages de la mer. Je l'accompagnais toujours à la chasse. Il me mit à cheval dès mon enfance. Je le suivais comme un chien. Et mon éducation fut vraiment celle d'un chien de chasse. J'appris à juger les villes par leur odeur, les gens par leur trace, à prendre le vent, à ramasser le gibier aux endroits les plus difficiles, et en plein hiver, j'entrais dans l'eau jusqu'à la ceinture pour aller chercher les canards qu'il abattait et qui tombaient dans les étangs. Je le vois encore m' attendant sur le bord avec son pantalon à damiers, son casque de velours à côtes et sa canardière à piston. Il souriait dans sa barbe blanche.

J'ai bien froid, mais je veux rester ici ce soir. J'ai dépouillé l'homme des villes ; la vie simple est bonne et belle; j'abandonne ma chambre de Mayfair et le bain fumant qu'à cette heure on prépare et ma chemise empesée et fraîche qui m'attend, toute ouverte, sur le ht. Je re- nonce aux avantages des vêtements renforcés aux épaules, d'une chevelure lisse, de l'esprit de conversation. Je n'ai que faire en fin de mois d'un traitement, en fin de vie d'une retraite, je n'ai plus de besoins, je n'attends plus rien de personne, les bouleversements sociaux ne me font pas peur et je méprise les ouvriers à qui il faut des cinémas

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