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988 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

vers une cahute couverte de branches de chêne séchées. Accroupie devant moi elle rallume le feu, assied entre deux pierres la poêle à frire et fait des œufs au lard. Je ne m'habitue guère à la voir ainsi, les genoux noirs de terre, les mains huileuses, sordide et pleine de naturel, la tunique relevée montrant au soleil rose des cuisses polies, musclées, de ces coins exquis qu'une longue hérédité m'avait rendus si secrets et si désirables.

Je dois céder à Aurore et j'enlève mes chaussettes, mon col. Sur un coup d'œil d'elle, je renonce aux bretelles. Et me voici à mon tour dévêtu, avec, au cou, la raie rouge de mon faux-col, aux jambes la raie bleue de mes jarretelles, aveuglé par la fumée acre des herbes fraîches, et comme un général en képi dépouillé par les Touaregs, nu, mais encore coiffé de chêne.

Des ramiers rayent le ciel. Aurore prend ma canne, les ajuste, fait un doublé, mais les oiseaux continuent, pressés d'arriver à la colonne Nelson avant la nuit.

— Je suis née au Canada, dit Aurore, sur les lacs. Les hommes y prennent avec des mouches de couleur de gros saumons qu'ils ramènent à deux après avoir passé un bâton dans leurs ouïes. Les femmes se donnent volontiers sur des hts de bruyère blanche. Très jeune je suis devenue pauvre avec ce qu'une fortune dépensée en peu d'années nous vaut d'expérience et de plaisir. Mes parents étaient morts tous deux. Ils étaient originaires du Westmoreland. Ma mère avait été très belle. Je l'ai peu connue. Elle avait le plus petit pied du monde (mon orteil n'entrerait pas dans un de ses souliers). Elle avait des cheveux noirs et un teint d'héroïne de keepsake. « Pareils aux vagues du lac ses bandeaux venaient mourir sur la grève de son front »,

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