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984 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Elle prend à terre, contre le mur, une bouteille de bourgogne australien, Chambertin-Big-Tree et se verse à même le gosier une rasade.

A nouveau Aurore m'agaça :

— Vous devez être révolution, végétarienne, gymnas- tique rythmique, quart-Vichy ? Je hais ce défi aux bonnes mœurs, ce redressement puritain et païen de la société.

— Vous vous trompez, je n'ai rien de schismatique ; je suis une Canadienne qui aime la vie fruste.

— Depuis combien de temps ?

— Depuis toujours. Je ne me rappelle pas avoir dansé, avoir tenu un fusil pour la première fois... mais, pour la première fois, cette nuit, je me sens lasse. Gina m'a en- traînée après le théâtre là où nous nous sommes rencontrés. Je le regrette. Je suis bien lasse. Je regarde le chemin qui me reste à faire, comme les mauvais coureurs, et j 'hésite. Les exhibitions de scène dévorent ma force vitale. Vous m'avez vue dans la voiture... Je suis faible, nerveuse... et vous qui assistez à tout cela... C'est drôle...

Le sommeil du matin la remettra. Mais elle me prie de ne pas la laisser seule, de monter avec elle, disant qu'elle va prendre un bain.

Je fais l'apprentissage de la vie simple.

Il y a au-dessus de la porte du petit escalier : vestiaire DU LORD JUSTICE. Nous entrons : c'est la salle de bains.

Elle s'écrie :

— A l'eau, Aurore !...

Elle se dévêt le plus simplement du monde, entre dans l'eau, se savonne, fait couler l'eau sur son corps. Corps parfait. Les muscles du dos courent comme des boules d'ivoire sous la peau hâlée, tendue, matière à la fois solide

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