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AURORE OU LA SAUVAGE 983

Aurore tisonne le feu du poêle. La lueur s'en étend sur le parquet et va se fixer au loin dans une glace. La pièce est nue. Çà et là, sur des socles, des moulages d'antiques à patine cireuse. Au fond, une estrade.

C'est la salle d'audience d'un tribunal désaffecté depuis la fin du règne de George IV. Il y a encore au-dessus des portes des inscriptions : entrée du public, le prévenu,

l'avocat de la couronne, L'ATTORNEY GENERAL. SoUS

le dais du juge, l'Apollon saurochtone; à ses pieds, un piano. Point d'autres meubles que deux sofas, les stalles du jury, des tabourets nègres, des étoftes du Zambèze à dessins géométriques.

— Voilà ma maison, dit Aurore. En réalité c'est une malle. Je n'ai plus rien au monde que ces plâtres, mes robes et mes fusils. J'ai eu jadis une grande maison dans Portman Square, avec des meubles, des invités et des domestiques qui passaient des choses sur des pla- teaux. Je ne suis pas possessive, je n'ai rien gardé. Je suis pauvre. Je me suis peu à peu dégagée de tous les liens que nous imposent les objets que nous aimons, pour leur beauté, leur prix ou les souvenirs que nous y attachons.

— Et maintenant ?

— Maintenant je reste dans la vie seule, assise sur des caisses, face à face avec moi-même.

— Personne ne pourrait entrer dans votre vie ?

— Personne ne doit entrer dans ma vie.

— Vous aimez votre corps ?

— C'est un dépôt qui m'est confié. Je n'y mets ni pensées ni nourritures sales, je le soigne, je le respecte, je le vêts simplement... J'ai soif.

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