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qu’à ces serres-là elles-mêmes, ces jardins d’hiver ressemblaient à celle qu’on voyait tout auprès d’elles, figurée dans un beau livre, autre cadeau de jour de l’an, et qui bien qu’elle fût donnée non aux enfants, mais à Mlle Lili, l’héroïne de l’ouvrage, les enchantait à tel point que, devenus maintenant presque vieillards, ils se demandent si dans ces années fortunées l’hiver n’était pas la plus belle des saisons. Enfin au fond de ce jardin d’hiver, à travers les arborescences d’espèces variées qui de la rue faisaient ressembler la fenêtre éclairée au vitrage de ces serres d’enfants, dessinées ou réelles, le passant, se hissant sur ses pointes, apercevait généralement un homme en redingote, un gardénia ou un œillet à la boutonnière, debout devant une femme assise, tous deux vagues, comme deux intailles dans une topaze, au fond de l’atmosphère du salon, ambrée par le samovar — importation récente alors — de vapeurs qui s’en échappent peut-être encore aujourd’hui, mais qu’à cause de l’habitude personne ne voit plus. Mme Swann tenait beaucoup à ce « thé » ; elle croyait montrer de l’originalité et dégager du charme, en disant à un homme : « Vous me trouverez tous les jours un peu tard, venez prendre le thé », de sorte qu’elle accompagnait d’un sourire fin et doux ces mots prononcés par elle avec un accent anglais momentané et desquels son interlocuteur prenait bonne note en saluant d’un air grave, comme s’ils avaient été quelque chose d’important et de singulier qui commandât la déférence et exigeât de l’attention. Il y avait une autre raison que celles données plus haut et pour laquelle les fleurs n’avaient pas un caractère d’ornement dans le salon de Mme Swann et cette raison-là ne tenait pas à l’époque, mais en partie