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d’être retourné chez les Swann) ne me récitais-je pas la lettre que Gilberte m’enverrait bien un jour, m’apporterait peut-être elle-même. La constante vision de ce bonheur imaginaire m’aidait à supporter la destruction du bonheur réel. Pour les femmes qui ne nous aiment pas, comme pour les « disparus », savoir qu’on n’a plus rien à espérer n’empêche pas de continuer à attendre. On vit aux aguets, aux écoutes ; des mères dont le fils est parti en mer pour une exploration dangereuse se figurent à toute minute et alors que la certitude qu’il a péri est acquise depuis longtemps, qu’il va entrer miraculeusement sauvé, et bien portant. Et cette attente, selon la force du souvenir et la résistance des organes, ou bien les aide à traverser les années au bout desquelles elles supporteront que leur fils ne soit plus, d’oublier peu à peu et de survivre — ou bien les fait mourir.

D’autre part, mon chagrin était un peu consolé par l’idée qu’il profitait à mon amour. Chaque visite que je faisais à Mme Swann, sans voir Gilberte, m’était cruelle, mais je sentais qu’elle améliorait d’autant l’idée que Gilberte avait de moi.

D’ailleurs, si je m’arrangeais toujours, avant d’aller chez Mme Swann, à être certain de l’absence de sa fille, cela tenait peut-être autant qu’à ma résolution d’être brouillé avec elle, à cet espoir de réconciliation qui se superposait à ma volonté de renoncement (bien peu sont absolus, au moins d’une façon continue, dans cette âme humaine dont une des lois, fortifiée par les afflux inopinés de souvenirs différents, est l’intermittence) et me masquait ce qu’elle avait de trop cruel. Cet espoir je savais bien ce qu’il avait de chimérique. J’étais comme un pauvre