revoir. Et enfin plus tard quand je pourrais enfin avouer sans péril à Gilberte, tant son goût pour moi aurait repris de force, le mien pour elle, celui-ci n’aurait pu résister à une si longue absence et n’existerait plus ; Gilberte me serait devenue indifférente. Je le savais, mais je ne pouvais pas le lui dire ; elle aurait cru que si je prétendais que je cesserais de l’aimer en restant trop longtemps sans la voir, c’était à seule fin qu’elle me dît de revenir vite auprès d’elle. En attendant ce qui me rendait plus aisé de me condamner à cette séparation, c’est que (afin qu’elle se rendît bien compte que malgré mes affirmations contraires, c’était ma volonté et non un empêchement, non mon état de santé, qui me privaient de la voir) toutes les fois où je savais d’avance que Gilberte ne serait pas chez ses parents, devait sortir avec une amie et ne rentrerait pas dîner, j’allais voir Mme Swann (laquelle était redevenue pour moi ce qu’elle était au temps où je voyais si difficilement sa fille, et où les jours où celle-ci ne venait pas aux Champs-Élysées, j’allais me promener avenue des Acacias). De cette façon, j’entendrais parler de Gilberte, j’étais sûr qu’elle entendrait ensuite parler de moi et d’une façon qui lui montrerait que je ne tenais pas à elle. Et je trouvais, comme tous ceux qui souffrent, que ma triste situation aurait pu être pire. Car ayant libre entrée dans la demeure où habitait Gilberte, je me disais toujours, bien que décidé à ne pas user de cette faculté, que si jamais ma douleur était trop vive, je pourrais la faire cesser. Je n’étais malheureux qu’au jour le jour. Et c’est trop dire encore. Combien de fois par heure (mais maintenant sans l’anxieuse attente qui m’avait étreint les premières semaines après notre brouille, avant
Page:NRF 13.djvu/86
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.